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Autobiographie
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Travail botanique
Georges Bugnet, origines
Georges Charles Jules Bugnet naquit à Chalon-sur-Saône, (Saône-et-Loire) dans la vieille province de Bourgogne, en France, une région vinicole. Il descendait d’une famille de petits agriculteurs de la vallée du Jura, près de la Suisse. Son père, Claude François (1848-1937), passa la plupart de sa vie professionnelle en tant que marchand de vins. Sa mère, Joséphine Marie-Anne-Élisabeth Sibut-Plourde (1859-1952), faisait partie d’une famille de classe moyenne d’Amiens, dans le nord de la France. La famille Bugnet déménagea souvent : Chalon-sur-Saône, Beaune, Mâcon, Dijon, et éventuellement, un retour à Mâcon. Le point commun reliant ces quatre lieux était la rivière Saône ; Dijon, bien que n’étant pas sur la Saône, était tout de même située dans son bassin hydrographique. De fait, en 1908, dans deux lettres écrites par Georges et sa sœur Thérèse, à partir du homestead de Georges, à leurs parents en France, l’en-tête était La Saône d’Amérique, témoignant de leur sens d’appartenance à cette rivière et à sa région – ce qu’ils considéraient être leur chez-eux – Mâcon et Chalon-sur-Saône sont près de la Saône, tandis que Beaune et Dijon sont situées dans son bassin. La rivière Saône est considérée l’une des quatre plus importantes rivières de France.
Georges était l’aîné de quatre enfants. De ses deux frères, Maurice, né en 1881, entra chez les Jésuites en 1907, mais avec la déclaration de la Première Guerre mondiale, il se joignit à son régiment; il fut blessé et mourut après la bataille de Commercy, en France, le 21 octobre, 1914. Il ne fut jamais ordonné prêtre. Charles, né en 1884, vint au Canada en 1908 avec sa sœur Thérèse; ils vécurent avec Georges et Julia pendant quelque temps. Charles prit un homestead tout près d’eux, mais il retourna en France en 1914 pour joindre son régiment. Blessé au combat, il poursuivit son service en tant que chauffeur jusqu’à la fin de la guerre. Il était marié et il retourna en Alberta avec son épouse, où deux de leurs enfants sont nés: Maurice et le tout-petit Pierre, qui mourut à Edmonton en 1922 avant l’âge d’un an. Ils eurent une fille après leur retour en France en 1923. Georges avait deux sœurs : Marie, morte durant son enfance, et Thérèse, née en 1892. Elle vint au Canada en 1908 avec son frère Charles et leur mère. Toutefois, elle retourna en France en 1914 pour entrer dans un Carmel où elle passa le reste de sa vie. Elle mourut en 1961; la rose Thérèse Bugnet porte son nom.
Georges fréquenta premièrement une école publique, puis, plus tard, celle des Frères des Écoles Chrétiennes au moment de grands conflits religieux au sujet des écoles en France lors de la séparation de l’Église et de l’État et la création d’écoles publiques gratuites. Sa famille était profondément catholique et tout au courant de sa vie, Georges demeura attaché à sa foi. A partir de 1891 et pendant quatre ans, il fréquenta le Collège Oblat de Saint-François-de-Sales à Mâcon tout en habitant chez ses parents. Lorsqu’il commença son cours classique vers l’âge de douze ans, il fut pris d’une grande admiration pour le missionnaire oblat Émile Petitot qui écrivait au sujet des peuples autochtones du Nord-Ouest canadien. Il rêva de devenir missionnaire dans le Grand Nord canadien et sa mère fit tout en son possible pour que le rêve de son fils devienne réalité; mais, en grandissant, Georges fut de moins en moins enthousiasmé par l’idée de devenir prêtre. Toutefois, son intérêt pour le Grand Nord canadien persista.
Après le déménagement de sa famille à Dijon, Georges poursuivit ses études au Petit Séminaire de Plombières; dès 1896 il avait terminé les premières années d’un Baccalauréat ès arts. Sa mère continua de l’encourager à la prêtrise; cet automne-là il entra au Grand Séminaire de Dijon. Dès l’automne, toutefois, Georges avait décidé de quitter le séminaire, mais il était trop tard pour s’inscrire à une autre discipline académique. Sa mère insista donc qu’il demeure à la maison et continue de porter sa soutane et poursuive un programme de lecture de son choix à elle. Georges Bugnet se rappellerait de cette période de sa vie comme étant un grand trou vide. Sur l’instance de sa mère, il essaya encore une fois la vie de séminaire, qu’il abandonna encore une fois. Son père intervint finalement et l’aida à s’inscrire à l’Université de Dijon, ce qui ne l’obligeait qu’à un an de service militaire obligatoire. Suite à cela, il retourna à cette université et y fit deux années et demie d’études fructueuses. Il voulait enseigner au niveau universitaire et se proposait de compléter une Maîtrise; toutefois, c’était durant les années de l’affaire Dreyfus et le mouvement vers la laïcité en France, une période politique très sombre pour les Catholiques où leur avancement professionnel était peu prometteur. Éventuellement, il abandonna ce projet. Il habitait alors près de l’Université et pour arrondir ses fins de mois il devint tuteur de latin durant ses moments libres. C’est comme cela qu’il fit la rencontre de Julia Ley alors qu’il enseignait à son frère en soirée. Ce fut l’occasion de lui faire la cour, ce que sa très-contrôlante mère ignorait.
En 1903, une fois son Baccalauréat ès arts complété, Georges se rendit en Allemagne y étudier la langue pendant plusieurs mois tout en enseignant le français en échange. David Carpenter, qui traduisit le roman de Bugnet, La Forêt, en anglais, interviewa Georges longuement et il relata qu’un jour le vieil homme lui raconta comment il avait passé une nuit entière à boire de la bière et du vin avec un copain français et des amis allemands dans une brasserie; ils s’étaient saoulés et s’étaient réveillés le lendemain avec une gueule de bois. Ses copains lui avaient dit auparavant qu’ils allaient lui faire connaître un kaztjammer. Lorsque Bugnet leur avait demandé de quoi il s’agissait, ils lui avaient dit qu’il le découvrirait par lui-même – il s’agissait en effet d’une gueule de bois, ce dont il souffrait grandement le lendemain matin. Le peu de temps que Bugnet passa en Allemagne révèle toutefois beaucoup sur sa façon de voir les choses. À cette époque-là, il y avait en France énormément de ressentiment nationaliste contre l’Allemagne suite à la perte des départements français d’Alsace et de Lorraine lors de la Guerre franco-prussienne de 1870. Les écoles publiques de l’époque ainsi que les Écoles privées catholiques faisaient grand cas de cet antagonisme contre les Allemands, alors l’intérêt que portait le jeune Bugnet à l’Allemagne était plutôt inusité, reflétant possiblement une révolte de jeunesse contre l’établissement, mais aussi une ouverture sur des cultures autres que la sienne.
Son incursion en Allemagne ne dura que quelques mois puisqu’il retourna à Paris plus tard en 1903 où il s’inscrivit à la Sorbonne, toujours dans le but de terminer ses études de maîtrise. Toutefois, son assiduité était plutôt sporadique puisqu’il était très impliqué aux organismes de la Jeunesse catholique tout en travaillant en tant que journaliste pour La Croix, un important hebdomadaire catholique de l’époque. L’année suivante, il décrocha un poste de rédacteur-en-chef avec La Croix de la Haute-Savoie à Annecy (Haute-Savoie), près des frontières suisses et allemandes. Georges transféra ses crédits à l’Université de Lyon, mais n’y donna jamais suite.
Mariage et immigration :
Puisqu’il avait alors un emploi stable et bien rémunéré, Georges épousa sa bien-aimée, Julia Ley, le 29 avril. Il avait 25 ans, Julia, 21 ans. Les parents de Georges n’assistèrent pas au mariage et avaient même essayé d’y contrevenir; mais, puisque Georges et Julia avaient atteint la majorité, la lettre de l’avocat des parents Bugnet, bien que mentionnée dans les dossiers de la cérémonie civile, n’eut aucune répercussion. Maurice, le frère de Georges, le père et l’oncle de Julia, ainsi qu’un bon ami de Georges y assistèrent et apposèrent tous leur signature à l’Acte de mariage officiel. La cérémonie religieuse eut lieu le lendemain. Le jeune couple vécut à Annecy jusqu’à la fin de décembre de cette même année; Julia se souvint de cette période de leur vie comme étant particulièrement heureuse pour tous deux.
Nous n’avons présentement pas énormément de renseignements sur Julia Ley. Selon les archives du Département de la Côte d’Or sur sa naissance en date du 24 juin, 1882, et son mariage à Georges, son nom était Julie Jeanne Ley, mais elle signait Julia. Dans l’acte civil de son mariage, on note que ses parents sont Antoine Thiébaud Ley, un peintre, mais plus tôt, sur son certificat de naissance, on indique qu’il était un plâtrier de 33 ans. Sa mère, Marguerite Marie Thomas, avait 31 ans au moment de la naissance de Julia. Le couple s’était marié le 1er octobre, 1879. Au moment du mariage de Julia le 29avril 1924, on note que la mère de Julia était décédée depuis le 16 décembre 1882. Toutefois, Jean Papen, dans sa biographie de Bugnet, écrit que Julia restait à la maison pour s’occuper de sa mère malade, mais il n’offre pas d’autres détails. Une autre question sans réponse est celle de ses frères. Georges rencontra Julia lorsqu’il donnait des cours de latin à son frère, mais on ne trouve son nom nulle part; et, selon une lettre écrite par Charles (fils de Georges) en 1917, trois oncles furent tués durant la Deuxième Guerre mondiale et un quatrième fut blessé. Ce fut une énorme perte pour la famille de Julia, tout comme pour les nombreuses familles dont les fils furent recrutés et qui subirent le même sort. Nous n’avons pas fait de recherches sur leurs noms dans les dossiers militaires, mais Ley est un nom assez commun dans cette région de France; il faudrait donc fouiller un par un les actes de naissances entre 1879 et 1890 ou à peu près. Entre temps, leurs noms demeurent inconnus.
Après le début du vingtième siècle, il y eut beaucoup de propagande partout en Europe ainsi qu’en France sur les avantages qu’offrait l’établissement dans l’Ouest du Canada. Bugnet, en tant que journaliste, en était très conscient. Il connaissait particulièrement bien les efforts de recrutement de l’Abbé Jean Gaire, un prêtre d’Alsace qui s’était donné pour mission d’encourager des familles françaises à s’établir dans les prairies canadiennes. La campagne publicitaire canadienne battait son plein en France; des affiches et des dépliants se trouvaient un peu partout : dans les gares, dans les églises, etc. On y annonçait que de bonnes terres étaient disponibles pour trois fois rien et que d’énormes profits étaient réalisables. Alors que Bugnet commençait à connaître des conflits éditoriaux avec le directeur de son journal qui essayait de lui imposer ses points-de-vue de l’extrême-droite, il sauta sur l’immigration canadienne comme solution à son dilemme. Comme tant d’autres qui immigrèrent à l’Ouest canadien, le jeune couple espérait que par le biais du homestead canadien il pourrait rapidement amasser une petite fortune et retourner à son pays natal et y vivre des richesses accumulées. Georges Bugnet pourrait alors se concentrer sur ses aspirations littéraires et devenir un grand romancier. Bugnet avait toujours voulu voyager et, depuis longtemps, il nourrissait le rêve de voir le Canada; le moment était donc venu de passer à l’action.
Les Bugnet arrivèrent à Port Saint-John, Nouveau-Brunswick, le 5 janvier 1905; ils poursuivirent leur voyage par train jusqu’à Montréal où, même à la gare Windsor du Canadien pacifique, Georges ne put trouver qui que ce soit qui parle français. À l’époque, Georges ne parlait que quelques mots d’anglais. Le couple poursuivit sa route jusqu’à Saint-Boniface où Georges trouva tout d’abord du travail chez les Sœurs Grises et de l’hébergement avec la famille Beron. Le premier enfant Bugnet, Charles, naquit le 17 février. En avril, ils déménagèrent à Letellier où Georges obtint du travail auprès d’un agriculteur local en espérant obtenir de l’expérience dans ce domaine. Il gagnait 15 dollars par mois, y compris l’hébergement de lui-même, de sa femme et de leur enfant; ne connaissant rien au sujet de l’agriculture ni au sujet de l’économie agricole, Georges réalisa rapidement que le salaire habituel d’un employé agricole était de 30 dollars par mois; lorsqu’ils quittèrent plus tard ce même été, il fut incapable de toucher tout le salaire qu’on lui devait.
Les débuts sur la terre du homestead :
Bugnet chercha alors à obtenir un homestead au Manitoba, mais le bureau du cadastre foncier lui recommanda de plutôt chercher des terres en Alberta; alors, au mois d’août la petite famille se dirigea vers l’ouest pour arriver à Edmonton tel que Bugnet le mentionne, à peu près au même moment où la province fut officiellement créée, soit le 1er septembre 1905. Georges se trouva du travail auprès d’un agriculteur de Saint-Albert.
Comme bon nombre de fermiers avant lui, Georges voulait s’établir près d’où un chemin de fer serait construit. C’était une considération pratique puisqu’une telle proximité offrait un accès au marché. Certains fermiers chanceux avaient pu s’établir exactement où une ligne de chemin de fer allait passer, ou même exactement là où la gare serait construite et en avaient réalisé un gain financier appréciable. Toutefois, la plupart des homesteaders trouvèrent qu’au lieu d’acheter leurs terres, le chemin de fer les contournait tout simplement, ce qui obligeait les fermiers à déménager plus près du chemin de fer et à recommencer; ceci était particulièrement le cas des marchands.
Il ne fait aucun doute que dès son arrivée à Edmonton, Georges rencontra des membres de la communauté française, dont plusieurs venaient tout juste d’arriver de France, et qui, comme lui, cherchaient à s’enrichir grandement. On parlait beaucoup d’une ligne ferroviaire qui se rendrait à Dunvegan, sur la rivière de la Paix. Bugnet pensait donc qu’il devrait s’établir assez près de la communauté française et d’une telle voie ferroviaire. Alors, à l’automne de 1905, il partit à pied vers la région connue aujourd’hui sous le nom de Comté de Lac Sainte-Anne, près du lac la Nonne et du lac des Îles (maintenant appelé lac Majeau) afin de décider où serait son homestead. Un sentier traversait la Prairie-aux-Oignons (à cause de l’oignon sauvage, ou ail penché, qui s’y trouvait en profusion); c’était là que Bugnet pensait que le chemin de fer se rendant à la rivière la Paix traverserait (Voir la Carte, de l’Ouest à la Cinquième, ainsi que la carte de 1906 du Edmonton Bulletin), ce qui ne se produisit jamais, car une route plus accessible fut choisie pour traverser la rivière Pembina, située tout près. Plus tard, la ligne de chemin de fer qui fut construite au plus près était située auprès du lac Ste-Anne, à Gunn, une dizaine de kilomètres de la ferme Bugnet.
Le 10 octobre, 1905, Bugnet inscrivit le quartier nord-est de la Section 28, Township 56, Chemin de concession 3, à l’ouest du Cinquième méridien (NE-28-56-3-W5) comme son homestead sur la Prairie-aux-oignons, qui fut renommé Rich Valley en 1909. Comme le prochain hiver fut très doux, Bugnet commença en janvier à défricher son terrain pour y construire sa première résidence, une simple cabane en rondins, communément appelée un « shack » et que Bugnet appela « le chantier », une expression qu’il emprunta d’Octave Majeau avec qui il habitat pendant ces débuts sur sa terre. Comme un feu de forêt avait brûlé la région de la Prairie-aux-oignons quelque temps auparavant [Bugnet avait mentionné que lorsqu’il était arrivé avec son épouse au printemps de 1906, il y avait des souches noires partout qui offraient un paysage plutôt désolant.] Ils étaient tellement isolés que les Bugnet mirent plusieurs mois avant de constater qu’ils avaient d’autres voisins à quelques milles au sud-est. Pour tout avoir au début, Georges Bugnet avait cinq dollars en poche et un cheval.
Bugnet reçut beaucoup d’aide d’Octave et de son épouse, Amélie; celle-ci agissait en tant que sage-femme dans la région, y compris auprès de Julia Bugnet qui accoucha de son deuxième enfant, Paul, le 14 septembre 1906 dans la demeure des Majeau. Pour les homesteaders, il ne faisait aucun doute qu’un homme qui défrichait seul avait besoin, dans la mesure du possible, de l’aide de ses voisins; habituellement, les défricheurs s’échangeaient des périodes de travail l’un l’autre. Cette coopération existe dans les écrits de Georges Bugnet, notamment dans La Forêt et dans sa pièce de 1934, La Défaite, et il est évident que le couple Roy est basé sur les voisins de Georges et Julia qui étaient prêts à donner un coup de main au jeune couple.
Dès le mois de décembre 1906, Georges Bugnet jouait un rôle actif dans la communauté environnante : il était membre de la Milice montée de St-Albert, un groupe de bénévoles composé de 22 hommes du District de Saint-Albert, vestiges de la Milice qui fut créée en 1885 pendant la Rébellion du Nord-Ouest, maintenant sous le commandement du Capitaine Blois Thibeaudeau.
Le premier été que les Bugnet passèrent sur leur homestead, ils sont censés avoir habité dans un tipi, mais il est plus probable qu’il s’agissait d’une tente, puisque ce genre de tente devint d’usage de nouveau en 1908 lorsque la mère de Georges, son frère Charles et sa sœur Thérèse se joignirent au jeune couple. Thérèse décrivit la tente à son père, demeuré en France pour régler ses d’affaires. Le couple Bourgouin du roman La Forêt vivait dans ce genre de tente à leurs débuts. Toutefois, il semblerait que le couple Bugnet réussit à construire sa première cabane au cours de leur premier été, puisqu’en 1907 Georges planifiait déjà une plus grande maison, une grange modèle, plus de clôtures et qu’il abattait déjà des mélèzes (Larix laricina) (communément appelés épinettes rouges) tout près à ces fins; toutefois, la plus grande maison a possiblement pris beaucoup plus de temps que prévu. Leur première cabane faisait quatre mètres par cinq, avait un planché de bois et des meubles rustiques.
En tant qu’intellectuel, Bugnet était de l’avis qu’il était beaucoup mieux de se mettre à l’œuvre et de réaliser des tâches plutôt que de passer son temps à souhaiter que choses soient différentes. Bien qu’il soit un homme qui avait étudié le grec et le latin, qui avait fait des études menant à la prêtrise et qui, durant ses années scolaires et universitaires, avait lu les grands auteurs classiques des littératures grecque, latine et française et qui en plus était devenu extrêmement actif et avait milité au sein the l’Église catholique en France, il se retroussa les manches et plongea dans le travail du colon. Il ne fait aucun doute que ce genre de vie fut très difficile pour son épouse Julia; des membres de la famille disent que si elle avait pu partir, qu’elle l’aurait fait, mais elle était mariée à un homme qu’elle aimait, elle avait déjà un enfant avec lui et en attendait un autre prochainement. Comme ils avaient peu de ressources financières, elle ne pouvait pas partir. Tout comme pour bien d’autres couples dans la même situation, tout ce qu’ils pouvaient faire c’était de s’atteler à la tâche et tirer le meilleur parti de la situation.
En 1906, Bugnet contacta Alex Michelet, rédacteur du nouvellement créé Courrier de l’Ouest, un hebdomadaire publié à Edmonton et lu par la communauté franco-albertaine et ailleurs sur les Prairies; il lui offrit ses services. Ceci lui permettrait d’ajouter à ses maigres finances et de s’abonner aux journaux et revues qui continueraient de le renseigner sur ce qui se passait dans le monde comme il l’avait fait autrefois. Michelet aussi était de Mâcon où Bugnet avait habité avec ses parents. Il est aussi possible qu’il commença à soumettre des articles régulièrement, mais s’il le fit, il ne les signa pas. Toutefois, la prochaine année, on trouve des traces de sa plume.
En mai 1907, dans la rubrique « Nouvelles de Partout », signée G. B., parurent des nouvelles locales du Lac La Nonne décriant, au début, le déménagement fâcheux (pour Bugnet) de la poste locale à la limite nord de la Réserve Alexandre, puis mentionnant l’arrivée de pionniers d’origines américaines, suédoises, anglaises et allemandes, mais peu de la « race française » (nos italiques). Il y avait plusieurs usines de bois de sciage dans les environs, ainsi que la possibilité qu’une brasserie s’établirait près du lac, bien qu’une laiterie connaîtrait un succès assuré étant donné qu’il y avait d’importants troupeaux de bovins dans la région. Côté personnel, il écrivit qu’un Français était à établir une pépinière où il cultiverait à partir de graines, choisissant les plus robustes, et qu’il ferait des greffes à partir des meilleures, produisant ainsi des arbres et des arbustes porteurs de fruits dont on pouvait dépendre. Il n’identifie pas ce Français, mais c’est évidemment de lui-même dont il s’agissait; c’était la première fois qu’il faisait mention de son projet de développer des plantes robustes. Le reste de la rubrique discute de l’arrivée en masse de pionniers Canadiens-Français au nord de Saint-Paul-des-Métis; il présente plus en détail les activités de cette région puisqu’après-tout le titre en est « Nouvelles de Partout ».
Il avait donné signe de vie dans une rubrique antérieure, en mars, où il était mentionné en tant que « G.B. » dans la rubrique « Le Coin féminin » par Magali Michelet, sœur du rédacteur. La rubrique hebdomadaire consistait en un court texte d’ouverture par Magali, quelques informations sur la mode, des recettes, des poèmes et des lettres de ses lecteurs, tous écrits sous des pseudonymes. Quelques mois plus tard, Magali lui donne un nouveau nom, celui du « Vieux Jeune ». Elle l’annonce comme un collaborateur dont les articles sont toujours appréciés. Dans la rubrique de cette semaine-là, qu’il signe en indiquant qu’il vient du lac La Nonne, il est question de la supériorité des hommes sur les femmes présentée de façon humoristique et provocatrice; dans les éditions subséquentes, ceci suscite des commentaires de lecteurs, en majorité des femmes (il pourrait s’agir de lettres qu’il avait lui-même écrites, étant donné que bien des années plus tard, il a mentionné avoir fait cela). Son introduction mentionne qu’il passait beaucoup de son temps à labourer et à herser, et il ne ferait que présenter quelques idées pour soutenir son point de vue. Puisque cette publication date du mois de mai, nous comprenons par son énoncé qu’il est très occupé sur son homestead, faisant tout son possible pour préparer la terre pour les semailles, ceci ayant été publié au mois de mai.
La vie de famille à la plantation Bugnet :
En mars et avril 1907, il contribua deux articles à la page Pour les Cultivateurs; des articles très dynamiques comme on n’en verrait malheureusement jamais d’autres. Le premier est une discussion pleine d’esprit sur les avantages que présentent les légumes pour la santé étant donné qu’à cette époque les pommes de terre et le porc salé constituaient le régime de base des homesteaders. On pouvait vite se fatiguer d’un tel régime. Il songe longuement aux bienfaits de toute une variété de légumes pour conclure en admettant qu’il est à consulter cinq différents catalogues de semences et qu’il a hâte de placer sa deuxième commande de semences de sorte à avoir un jardin très complet l’été venu. Il signa l’article de son nom. Dans le second article, le 11 avril, il discute en long et en large des carottes et des résultats incroyables qu’il avait obtenus en les faisant pousser l’été précédent en employant différentes techniques d’ensemencement d’une terre nouvellement défrichée. Tout comme dans l’article sur les légumes, il explique les bienfaits des carottes pour la santé des humains et du bétail; les deux articles faisaient preuve d’une recherche à la fois rigoureuse et amusante. Il est malheureux que Michelet n’ait pas continué de l’employer de cette façon, car même les lecteurs d’aujourd’hui trouvent les deux articles dynamiques et intéressants. Son commentaire sur l’ensemencement d’une terre nouvellement défrichée est particulièrement intéressant étant donné que les fermiers d’aujourd’hui pratiquent une agriculture sans défrichage, une méthode particulièrement économique et écologiquement saine qui permet au carbone et au nitrogène fixés dans la terre d’y demeurer de sorte que les racines puissent s’y agripper. Dès le début de son arrivée sur son homestead, Bugnet avait un plan en tête et il se mit à l’exécuter à partir de méthodes scientifiques aussi rapidement que possible.
Dans l’édition du 13 juin du Courrier de l’Ouest, il y a une très courte nouvelle, probablement par Bugnet, au sujet de la visite de deux missionnaires en poste près de la Réserve Alexander, proche de Rivière-qui-Barre, qui étaient en visite au lac La Nonne le dimanche en question. Ils avaient célébré la messe dans la maison d’Octave Majeau. Le Frère Joseph Portier présenta l’homélie en cri et le Frère Gustave Simonin prononça quelques paroles en français. Georges Bugnet chanta durant le service. En tant que Catholiques fervents, Georges et Julia trouvaient important d’assister aux services religieux. On ne mentionne pas si Julia avait assisté au service. Il se peut qu’elle reste à la maison avec Charles, deux ans, et le tout petit, Paul. Ils avaient un cheval lorsqu’ils s’établirent tout premièrement au printemps de 1906. Toutefois, dans une lettre à sa mère en 1908, Georges raconte ses longues marches sur les chemins enneigés entre Saint-Albert et Edmonton : des aller-retour de 35 milles dans chaque sens pour acheter des provisions. Il ne mentionne pas l’utilisation d’un cheval.
Tel que déjà mentionné, bien que nous ayons essayé de trouver des contributions d’avant cela au Courrier de l’Ouest par Bugnet, si elles existent, il n’est pas facile de les identifier, car elles ne sont pas signées. Il y a toutefois deux articles remarquables : une autre mention d’activités forestières durant l’hiver de 1907-1908 dans la région du lac La Nonne et des rondins particulièrement gros qu’on sortait de cette région; c’est probablement un article de Bugnet. Directement à la suite de cet article et sur la même page, on trouve la publication du rapport de l’analyse du sol récemment reçu d’Ottawa; cette analyse faisait état de la très bonne qualité du sol dans la vallée et sur les collines de sa propriété, dont le chimiste Frank T. Schutt disait que le sol était très riche et à haute teneur en minéraux et en engrais.
Le deuxième article est son poème « Le Coyote », comprenant une citation en latin dans l’introduction. C’était quelque chose dont Bugnet était particulièrement friand, car il parlait latin et grec, se débrouillait en allemand et était vite devenu à l’aise en anglais. Quant au « Coyote », la version qu’il publia en 1938 était un peu plus longue puisqu’il y avait ajouté deux strophes, la première précisant que le coyote avait consommé de la strychnine, et le second mentionnant la quête de l’Homme à la recherche d’un sens divin et perdant espoir. En fin de compte, quelque peu déprimant et anthropomorphique.
Selon Jean Papen, qui avait correspondu avec un Bugnet âgé alors qu’il menait des recherches en vue de sa dissertation doctorale et qui l’avait rencontré à plusieurs occasions pour de longues conversations, et aussi selon ce que nous comprenons des articles sur lui dans l’Edmonton Bulletin entre 1917 et 1923, les efforts de Bugnet pour cultiver des plantes robustes avaient commencé par l’acquisition de plantes des fermes expérimentales de Morden, au Manitoba, et d’Indian Head, en Saskatchewan. Bugnet découvrit assez rapidement que toutes les plantes n’étaient pas robustes sur son homestead, soumis à des gels mensuels. Dans son autobiographie, Bugnet mentionne que dès leurs débuts, ils commencé une pépinière et qu’ils en ont tiré un petit revenu, mais qu’ils n’avaient pas persisté dans leurs efforts. Cela devait être durant les années trente, pas auparavant, car selon certains articles de l’Edmonton Bulletin, entre 1918 et 1923, Bugnet tenait à annoncer en long et en large qu’il avait du succès avec son projet de plantes robustes.
Bien qu’il eût un excellent potager, ce sont les fruits à noyau et les pommes qui lui donnèrent le plus de difficultés au tout début; il en perdit plusieurs au gel, aux lièvres et aux porc-épic. L’hiver 1906-1907 fut très difficile, la neige étant profonde; l’année suivante, les lièvres avaient tout rasé jusqu’au sol.
Pas du tout vaincu, Bugnet ayant constaté que leur premier jardin était exposé à un gel mensuel, les Bugnet construisirent une nouvelle cabane en rondins sur le côté sud-est d’une petite colline dont le dessus avait été labouré; puis ils ont érigé une clôture en grillage, bien étirée, et y ont apposé du fil barbelé sur le dessus et à mi-hauteur. Par après, aucun lièvre, poulet, cochon ou veau, ou quoi que soit d’autre, n’eut la chance d’accéder à l’intérieur de l’enclos.
Afin de protéger le nouveau jardin, un abri-vent composé d’abrotanum Tobolsklanum ou « Vieil homme de Sibérie » et des érables du Manitoba, à croissance rapide, fut planté du côté ouest. Plus tard, on ajouta : du côté nord, une haie de pommetiers sibériens; au sud, des haies de canneberges sauvages (des Pembina); à l’est des Saskatoon, des cerises noires et des cerises rouges. À cette fin, les cerises noires bien taillées étaient la meilleure solution.
Edmonton Bulletin, 28-02-1918) (traduction J. Verret-Chiasson)
Il se peut qu’il ait planté des noisettes indigènes, dont il en connaissait deux sortes, ainsi que des clématites indigènes, car il disait que ces deux plantes poussaient bien ensemble et feraient une bonne haie.
Puis, face à la maison, on planta une pelouse. Autour du parterre, on garda, ou ajouta, le meilleur des buissons indigènes sauvages du Nord de l’Alberta tels : aubépines, baies de bison, sorbiers des rochers, – qu’on trouve à Rich Valley – bouleaux blancs, pins gris, épinettes blanches, etc., toutes des plantes qui peuvent survivre contre toute plante importée si on s’en occupe bien.
Les arbres fruitiers, qui avaient survécu à l’assaut des lièvres, furent transplantés au jardin en rangs au printemps de 1910, en direction nord-sud, tous les 25 pieds; les arbres, en rangées tous les 12 pieds. De ces arbres, les pommetiers sibériens reprirent les premiers après quatre ans à produire de petites pommes en abondance, très bonnes pour faire de la gelée. Entre les arbres, furent plantés des groseilles, du raisin rouge néerlandais et du raisin blanc et six variétés de framboises, une récolte assurée chaque année; des cerises de Montmorency, que la première gelée attaquait bien avant la maturité du fruit, et des cerisiers des sables, chargés de grosses cerises chaque automne, certaines presque aussi bonnes que les cerises des Vieux pays. (Ibid) (traduction J. Verret-Chiasson)
Après avoir consulté le matériel disponible dans l’Ouest du Canada et l’avoir trouvé inadéquat, à une époque ou d’autres horticulteurs et botanistes s’efforçaient d’améliorer les céréales, surtout le blé, qui résisterait au gel et à la rouille, Bugnet étudia la question à fond, empruntant des livres de l’Université de l’Alberta par le biais de leur bibliothèque ambulante disponible à Rich Valley. Il estima qu’il devait y avoir des variétés de plantes robustes dans des régions du monde ayant un climat plus dur que cette région du nord de l’Alberta. Et c’est à ce point que le récit touche au fabuleux : à partir de 1910, il envoya cinquante lettres partout autour du globe, chacune affranchie d’un timbre-poste de cinq sous; ces lettres étaient adressées à :
[…]M. Vilmorin, Paris, France; à W.T. Macoun, Ottawa; à Dr Sargent, au Arnold Arboretum, Boston, Mass., É.-U.; à The Royal Gardens of Kew, Angleterre; aux Jardins Botaniques de Lausanne, Suisse, et avant que les Bolcheviks soient là, aux Jardins Impériaux de Petrograd, demandant à tous d’envoyer des graines de fleurs, d’arbres et de buissons croissant et mûrissant dans l’extrême Nord, ou aux plus hautes altitudes dans les montagnes. Et de partout vint une réponse généreuse, tellement généreuse que les Bugnet avaient du mal à s’occuper de tous ces envois. Dès réception, ils semaient en rangées, tel qu’on le fait pour les oignons et les carottes, les graines à plus courte durée, et ils ont continué de semer année après année les plus coriaces de la tribu. Les nouveaux semis étaient cultivés pendant un an ou deux de sorte à leur donner un début judicieux; puis, après cela, c’était la survie du plus fort. (Ibid) (traduction J. Verret-Chiasson)
Il fallut quelques années pour voir le fruit de leur labeur, pour identifier les plus robustes des plantes les plus résistantes, mais dès 1917, les lettres de leurs enfants dans la rubrique Uncle Tom’s Corner dans l’Edmonton Bulletin témoignent de pommiers faisant deux pieds de haut. Et il s’agissait de toute une variété hétéroclite, comme en témoigne un article de février 1918 sur les efforts de Bugnet.
[…] cerisier japonais (Prunus Grayana), amande de Sibérie (Amygdalus Sibirica), bouleau de Sibérie (Betula Ermani). La rosa rugosa de Sibérie (Halinisdendron Argenteum), clématite dorée (Clematis Tangutica), genêt sibérien (Cytisus Clongatus Sibiricus), le seul qui soit vraiment robuste dans l’Ouest ainsi que quelques rares chèvrefeuilles (Lonicera Coerulea, Kamtschatica, Dependcus) et des Lilas (Syringa Amurensis, Villosa, Emodi Rosea) et des Roses, dont une variété au parfum très doucereux, une rose de Manchourie aux pétales rouge foncé, ainsi que quelques Sorbiers européens et le très robuste sureau aux fruits couleur de corail (Sambucus Raemosa) dont les feuilles s’ouvrent huit à dix jours avant nos arbres indigènes; ces arbustes poussent dans les roches au fait des Alpes; aussi des mélèzes, des pins et des sapins du nord de la Sibérie. (Ibid) (traduction J. Verret-Chiasson)
Il y avait également des fleurs vivaces, dont on en trouve encore sur le site de la Plantation Bugnet : violettes dent de chien de Sibérie, en réalité un lys (Erythronium sibericum); de très grands et minces delphiniums bleus, une grande quantité de violettes blanches indigènes, un seul sureau originaire des Alpes; on en trouvera peut-être d’autres une fois qu’on aura enlevé tous les caraganiers de la Plantation. Lorsqu’on voit l’iris sibérien, si commun dans nos jardins contemporains, cela nous porte à nous demander s’il s’agit d’une des plantes exotiques qu’il a fait pousser et propagé ensuite. Les enfants Bugnet, dans leurs lettres publiées sous la rubrique « Uncle Tom’s Corner », dans l’Edmonton Bulletin, mentionnent des pivoines, des lilas, les pruneaux, des groseilles, des cerises, des fraises et des rosiers. L’Oncle Tom mentionne dans une de ses réponses que la clématite qu’il a reçue de leur part se porte très bien; il semblerait donc que Bugnet faisait la promotion de certaines plantes en en faisant cadeaux à certaines personnes; il se peut aussi qu’il ait encouragé ses enfants à écrire au journal. Selon les lettres, les enfants semblent assez contents de le faire et d’appartenir au club du journal; le rédacteur en chef fait état du fait que le journal avait jusqu’à 600 membres en Alberta et au-delà.
Durant cette période, Bugnet poursuivit ses activités agricoles : on constate qu’il a employé plusieurs méthodes afin que sa ferme atteigne son plein potentiel, et cela, dès ses débuts. Il acheta du bétail
(onze têtes dont il en perdit neuf à cause de la strychnine); il avait deux bœufs pour les labours et des chevaux; il élevait des cochons; il avait de l’équipement pour couver les poulets et plus tard employa des poules couveuses; il avait des pigeons et une de ses filles avait un lapin au long poil. Bien sûr, tout ceci ne se produisit pas les premiers temps, mais Bugnet s’y consacra avec vigueur. Il apprit l’art de la ferme sur le tas et dès le début de son aventure d’Octave et Amalie (L’Hirondelle) Majeau, les ancêtres de bien des Majeau de l’Alberta.
À deux reprises, Bugnet écrivit sur le vieil homme dans l’Edmonton Bulletin : une fois à l’occasion des noces d’or du couple et la dernière fois lors du décès d’Octave. Il y a également des articles dans la rubrique « Originaires du Québec » : Majeau avait vécu à Saint-Albert avec son épouse et lorsque celle-ci découvrit qu’il avait perdu sa jument préférée dans une gageure dans une buvette des environs, elle insista qu’ils déménagent au lac La Nonne où ils avaient habité pendant plusieurs années avant l’arrivée de Bugnet. Ce couple fascinait Bugnet et l’écrivain semble avoir modelé certains des personnages dans ses romans sur eux, surtout dans La Forêt. C’est vers 1860 que Majeau quitta le Québec pour l’Ouest, possiblement avant cela, car il était passé par le Montana et l’Idaho. – on mentionne une première « ruée vers l’or », alors il se peut que ce soit même avant cela. Il arriva au Fort Edmonton en 1865 et épousa Amalie L’Hirondelle, du lac Sainte-Anne, en 1869. Il ne fait aucun doute qu’au-delà de ses livres et des dépliants du gouvernement sur l’agriculture, c’est Majeau qui servit de mentor à Bugnet. De la même façon, Amalie dut être d’un grand réconfort pour Julia, ayant été sa sage-femme lors de plusieurs de ses accouchements. Comme il y avait très peu de francophones à Rich Lake Valley, Majeau et son épouse ont dû permettre à Bugnet de comprendre la vieille culture française de l’Ouest canadien. Amalie, une descendante des Voyageurs, naquit vers 1830, et voyaga avec son père en charrette à bœufs du lac Sainte-Anne jusqu’à Saint-Boniface (Manitoba) pour y étudier le catéchisme.
En 1908, la mère de Georges, son frère Charles et sa sœur Thérèse arrivèrent en Alberta et vécurent avec les Bugnet. Il est probable que Charles prit un homestead et qu’il commença à le développer, mais nous n’avons pas de renseignements précis en ce moment. Ce que nous savons, c’est que le père de Georges se joignit à eux trois ans plus tard. Comme Maurice était entré chez les Jésuites et que les parents de Georges n’avaient pas d’autres moyens de soutien, ils voulurent rester avec leurs autres enfants. Ils devaient être à l’étroit et comme la mère de Georges était contre le mariage de Georges et Julia, cela devait être assez difficile pour Julia de vivre avec sa belle-mère. Selon Georges, il y eut des frictions. Charles partit en 1914, tout comme Thérèse; il revint après la Guerre, mais retourna en France avec sa femme, leurs deux enfants et ses vieux parents en 1923.
Les arbres
Bugnet travaillait sans relâche sur ses semis, car les Pins ponderosa plantés en 1917 croissaient admirablement, ces arbres, natifs de l’Amérique du Nord n’étaient pas considérés robustes au 54e degré de latitude. Les graines lui étaient parvenues d’une plantation en Sibérie, faisant réfléchir au collectage original… Les graines de Pin sylvestre qu’il avait reçues en janvier 1917 des Jardins impériaux de Petrograd et semées entre 1921 et 1923 croissaient tellement rapidement qu’en 1932 les forestiers provinciaux de l’Alberta récoltaient autant de graines que possible de ces conifères prolifiques.
À cette époque, Bugnet avait abandonné tout espoir de faire fortune de sa pépinière probablement à cause de l’isolement relatif de sa ferme et les moyens de transport limités courants. La Grande Dépression lui asséna assurément le coup de grâce, car il fut incapable, tout comme la majorité des fermiers de l’Alberta, de régler ses impôts fonciers en 1933. Cela ne l’empêcha pas toutefois d’apprendre tout ce qu’il pouvait du travail continu des horticulteurs amateurs et de celui des fermes expérimentales. Il faisait pousser des abricots, des pruneaux, des cerises et des pommes tout en essayant de les améliorer; il discuta de ceci en long et en large en 1935 dans quelques articles publiés dans une revue intellectuelle du Québec, Les Idées. Il souligne dans ces articles « Inventons des arbres » qu’il ne fait pas la promotion d’une entreprise commerciale, mais qu’il fait ce qu’il fait à cause d’un intérêt personnel; il souligne aussi que ces nouveaux hybrides devraient porter le nom de leur inventeur.
Les roses
Il travaillait déjà depuis longtemps à la production de roses et à la création d’hybrides. Avec ses roses, il commença par les aubépines (roses sauvages) de l’Alberta en faisant un croisement avec des variétés de roses thé, plus fragiles et beaucoup moins hardies; il devait les protéger à l’intérieur durant les hivers. En 1941, il écrivit dans l’American Rose Annual au sujet de sa production de la rose sauvage locale, la Rosa blanda (R. macounii), ou la R. rugosa kamchatica, dont un plant de semis fut croisé avec une rose sauvage rouge de Sibérie, R. amblyotis; des semis de celle-ci furent utilisés sur des R. rugosa flore-plena,et ceci produisit des fleurs de 18 à 20 pétales de couleur rose ou rouge pâle. Olsen conteste un peu cette lignée (Paul G. Olsen, « The Roses of Georges Bugnet/Les roses de Georges Bugnet », N.R.C., 28 : 7, 15, 2000.) Voir article en annexe.
Bugnet n’a jamais déposé le nom de ses roses et lorsque la rose Thérèse Bugnet fut déposée par Percy Wright en 1947, celui-ci demanda la permission à son créateur, qui donna son consentement et ajouta qu’il ne voulait pas faire d’argent sur cette rose à laquelle il avait donné le nom de sa sœur. Il est probable que Bugnet ne disposait pas des fonds nécessaires pour breveter cette rose, car il semblerait que ce fut un processus dispendieux et Bugnet n’avait certainement pas d’argent. Malgré tout, son legs se poursuit de nos jours, car il nous reste au moins une douzaine de roses robustes au développement desquelles il travailla patiemment pendant de nombreuses années. Toutefois, seulement deux variétés de ces roses sont disponibles dans le commerce; on doit se procurer les autres auprès d’amateurs de roses ou, parfois, des membres de la famille Bugnet.
Autobiographie de Georges Bugnet
À condition, je suppose, que vous priiez: “Que ta volonté soit faite” et que tu essayes d’écouter assez souvent et de répondre sincèrement à ta conscience, la vie, comme un arbre de Noël, s’enflamme et se remplit de merveilles de toutes formes et de toutes couleurs . La mienne ne fait pas exception: si, quand j’avais vingt et un ans et que j’étais électeur, je l’avais vraiment dit à mon avenir, je l’aurais bien ri. Cela aurait semblé trop incroyable.
Claude Bugnet, mon père, est issu d’une longue lignée de petits agriculteurs du pays, non loin de la frontière suisse, mais a choisi de vivre dans des villes vendant du bon vin de Bourgogne aux grandes entreprises de plus de la moitié de la France. Ici, je peux faire remarquer que les ivrognes sont rares dans les pays où le vin est pris au repas. Il suivait toujours son métier à l’âge de 88 ans, démissionnant finalement et mourant à 89 ans.
Amiens, en Picardie était le lieu de naissance de ma mère. Elle venait de gens de la classe moyenne. Pour autant que je sache, elle vit toujours. Les dernières et dernières nouvelles que nous avons reçues de France depuis 1940 affirmaient qu’elle était en bonne santé. Cette lettre a été envoyée à Toulon juste avant que les Allemands l’occupent.
En abordant des aventures personnelles, mon premier regard sur notre poussière qui tourbillonnait parmi les étoiles, que nous appelons notre terre et que nous trouvons assez grande, était dans une ville, Châlon-sur-Saône, en Bourgogne, où, selon ces longs Actes de naissance français, je suis né en février 1879. J’ai été éduqué principalement à la maison, je crois: mes parents donnent un bon exemple de la vie véritablement humaine, c’est-à-dire que les valeurs morales ont la priorité sur les valeurs matérielles, en ajoutant aussi la substance spirituelle parce qu’elles étaient chrétiens , de la foi catholique. En ce qui concerne l’enseignement, j’ai fréquenté, entre 4 et 20 ans, une demi-douzaine d’écoles et de collèges, en plus de la dégustation, à 20 ans, d’une année de service militaire. Ensuite, je suis entré à l’Université de Dijon où, après avoir obtenu un B.A. diplôme je voulais le faire passer à un M.A. Pendant quelques années, je l’ai gardé, transférant mon cours à la Sorbonne à Paris et enfin à l’Université de Lyon. A cette époque, mon ambition était de devenir professeur d’université.
Une autre ambition était en moi et celle-ci n’a pas été contrecarrée. Au début de 1904, après trois ans de cour, et après avoir enfin obtenu un poste solide et bien rémunéré au poste de rédacteur en chef d’un journal, je me suis marié, devenant ainsi un «nous».
Peu après, de merveilleuses nouvelles nous sont parvenues. Selon la littérature publiée officiellement par le gouvernement du Canada, les régions du nord-ouest de l’Amérique étaient le nouvel Eden en attente de l’humanité. Il y avait des faits authentiques, des chiffres et des photographies. Ils semblaient prouver de manière concluante qu’avec de la chance ordinaire, on pouvait gagner environ 25 000 dollars en cinq ou dix ans au maximum, et avec un peu de chance, jusqu’à 50 000 dollars. Bien; une fois que ces 25 000 dollars ont été capturés et rapportés en France, ils représentaient 100 000 francs. Pendant quelques mois, nous avons débattu du pour et du contre, décidant finalement de l’essayer.
L’aube de 1905 nous a rayonné à Saint = Boniface, au Manitoba, et comme il faisait froid! Nous avons ensuite découvert un premier défaut dans ce que nous pensions être des plans soigneusement préparés. Le gouvernement fédéral n’a pas oublié de souligner, dans les brochures envoyées en France, que le Canada est un pays bilingue où le français et l’anglais sont les deux langues officielles. De plus, un grand nombre de Canadiens francophones s’établissent dans l’Ouest. Nous avons vite découvert que le français n’était pas du tout officiel dans la plupart des fermes manitobaines. Nous avons pensé qu’il valait mieux aller chez un propriétaire francophone pour acquérir cette connaissance pratique de l’agriculture dont nous ignorions lamentablement. Nous sommes donc allés à Letellier, sur une ferme de 500 acres.
Voici un souvenir amusant. Un jour, un veau de six mois s’étant échappé dans les pâturages, j’ai saisi une corde et je me suis mis à la poursuite, pour le plus grand plaisir de ma femme. C’était une sorte de marathon, à toute vitesse, à environ 30 milles à l’heure, jusqu’à ce que le mollet tout épuisé – et moi aussi – m’ait permis de passer la corde par-dessus sa tête. Puis j’ai entendu la voix du fermier criant: «Laisse le veau tranquille!». J’avais du mal à en croire mes oreilles. Mais il se tenait vraiment là-bas et répétait le même ordre. Ensuite, je l’ai vu entrer dans la grange et sortir en conduisant la mère vache qui a immédiatement laissé échapper un grand beuglement. Le veau m’a laissé la rejoindre, alors que je me sentais parfaitement idiote et que je transpirais de partout.
Au début de l’automne prochain, apprenant que l’Alberta n’était ni si froide en hiver ni aussi chaude en été, nous avons fait un autre saut en atterrissant à St. Albert, après Edmonton. Les gens parlaient du pays Peace River. Une ligne de chemin de fer devrait y aller un jour. Nous avons examiné une carte.
Tout à fait ignorants des voies de construction des chemins de fer en Occident, nous avons pris pour acquis que comme en Europe, même pour percer des trous à travers des montagnes, ils étaient tenus de suivre la ligne la plus directe. En conséquence, je suis parti à la recherche d’un bon quart de terrain situé sur ou à proximité du chemin de fer prévu et pas trop loin des francophones. Après des jours d’itinérance, j’atteignis une magnifique région sauvage.
Heritage photos
Carrière littéraire
Books
Bugnet, Georges. Forêt. Montréal: Les Éditions XYZ, 1993
Bugnet, Georges. The Forest. Translated by David Carpenter. Montreal: Harvest House, 1976.